Salutations, Étranger !

Si vous souhaitez rejoindre la communauté, cliquez sur l'un de ces boutons !

Premiers pas dans la rééducation sensitive des douleurs neuropathiques

« Le soin est un humanisme » écrit Cynthia Fleury dans un tract Gallimard en mai 2019 où elle
nous fait part de sa « vision capacitaire du soin » … Un point de vue très intéressant certes,
mais, au quotidien, comment soigner ? Comment prendre en soin un patient ?

Cette question est omniprésente chez les rééducateurs, car prendre en soin est une tâche
complexe, chronophage, laborieuse. Prendre en soin implique également de côtoyer au
quotidien la fragilité, la vulnérabilité, la douleur. Quand, au détour d’un nouveau poste nous
faisons la connaissance d’une autre forme de douleur (il sera ici question de douleur
neuropathique) on peut penser qu’il faut commencer par la comprendre, l’appréhender,
l’apprivoiser. C’est dans ce cadre que j’ai commencé la formation « douleurs neuropathiques :
méthode d’évaluation clinique et de rééducation sensitive » (sessions I et II), et bien sûr le
début de la pratique a immédiatement suivi.

Je tiens ici à vous faire part de mes premières prises en soin de rééducateur sensitif de la
douleur à travers quelques vignettes cliniques.

Pour illustrer mes propos, j’ai choisi de comparer mes débuts dans ce domaine à l’apprentissage
d’une langue étrangère en trois étapes.

Vignette clinique no 1 / Etape no 1 : apprendre une langue étrangère
C’est tout d’abord être ouvert à l’autre, le regarder, l’écouter
M. D. est un restaurateur parisien de 65 ans. Il a été adressé en ergothérapie pour une prise en
charge dans les suites d’une perte d’autonomie secondaire à une pneumonie sévère
hypoxémiante SAR Cov nécessitant un passage en réanimation et une intubation orotrachéale.
C’est lors d’une mise en situation de vie quotidienne (rasage) que je note une « bizarrerie ». Le
patient exerce, dans une certaine région du visage, une pression des doigts « sur le rasoir »
beaucoup plus forte qu’auparavant. A ce moment, la conversation s’arrête. M. D. a besoin de
plus de concentration.

Quand la région est enfin rasée, le patient poursuit normalement son rasage, a besoin de moins
de concentration, exerce moins de pression des doigts, il peut recommencer à être en situation
de double tâche.

Que s’est-il passé ici ? Pourquoi ce drôle de comportement ? Lors de la séance suivante, je
reparle de cet incident au patient qui me fait part de « picotements », « fourmillements » et
d’« engourdissement » dans une certaine région du visage.

Une esthésiographie suivra, qui mettra en évidence (avec un test de discrimination de deux
points statiques) une faible hypoesthésie tactile du nerf mandibulaire, branche du nerf trijumeau
gauche (stade I de lésions axonales Aβ).

Nous comprenons alors que ces lésions peuvent être attribuées à une station en décubitus ventral
prolongé (avec point d’appui sur le territoire de provenance cutanée du nerf mandibulaire) lors
de son passage en réanimation.

Ces résultats sont présentés au staff. La rééducation suivra.

Ainsi, dans les premiers temps de mise en pratique de ma formation, c’est en étant ouverte à
mon patient, en apprenant à regarder différemment, à poser les bonnes questions que j’ai pu
commencer à parler le « langage » de rééducateur sensitif de la douleur.

La deuxième étape allait bientôt suivre …

Vignette clinique no 2 / Etape no 2 : apprendre une langue étrangère
C’est manipuler de nouveaux mots, se les approprier
Mme H. est une femme au foyer de 54 ans. C’est une patiente multi opérée qui est adressée en
ergothérapie post arthroplastie totale de hanche gauche. Elle a connu récemment cinq
interventions chirurgicales du rachis lombaire et présentait une instabilité chronique des deux
prothèses de hanche placées précédemment.
Il s’agit ici d’un contexte hyperalgique où la douleur est intense et permanente, sous forme de
douleurs neuropathiques.
La prise en soins en ergothérapie commence par un travail d’indépendance fonctionnelle en
chambre mais face aux douleurs, une demande de prise en soins en rééducation sensitive est
adressée au médecin … Il était alors temps pour moi d’essayer d’apprivoiser le Questionnaire
de la Douleur de Saint-Antoine (QDSA).
Cette première passation - pour moi et la patiente - s’est étalée sur plusieurs séances. Chaque
mot de la liste a été analysé, disséqué, ingéré, digéré. Mme H. essayait, sans doute pour la
première fois, de faire un petit pas de côté pour mieux comprendre sa douleur.
Et, dans ce « récit à deux voix » (Spicher et al., 2020), dans ce dialogue singulier, j’ai moi même découvert tous ces mots nouveaux, toutes ces manières d’exprimer sa douleur. J’ai pu prendre le temps, avec Madame H. de les connaître, un par un … Comme on apprend une liste de vocabulaire afin de pouvoir s’exprimer dans une langue étrangère.

Vignette clinique no 3 / Etape no 3 : apprendre une langue étrangère
C’est découvrir un nouvel environnement, une autre façon de penser
Mme S. est une jeune femme dynamique de 47 ans qui est adressée en ergothérapie pour prise
en charge rééducative dans les suites de la mise en place d'une arthrodèse circulaire programmée au niveau L4-S1. Elle a connu deux chirurgies pour des hernies discales. Son dossier mentionne
que, suite à la première intervention, la patiente garde des troubles de la sensibilité
proprioceptive sur le membre inférieur droit. Il mentionne également un syndrome de queue de cheval nécessitant des auto-sondages urinaires.

Des évaluations seront réalisées. Elles permettront de mettre en évidence une condition neuropathique (Spicher et al., 2017) : méralgie paresthésique intermittente droite (stade III de lésions axonales Aβ) et une condition somesthésique : hypoesthésie tactile des brancheslabiales antérieures du nerf ilio-inguinal droit (stade I de lésions axonales Aβ).

Sans trop rentrer dans le détail de sa condition somesthésique, ci-dessus, la difficulté de cette évaluation a résidé dans la localisation de l’atteinte : les branches labiales antérieures du nerf ilio-inguinal. Comment gérer mon matériel ? Comment bien placer les esthésiomètres lors de l’évaluation ? Comment faire « au milieu » des poils pubiens ? Comment gérer la force
d’application quand on ne voit pas entièrement son esthésiomètre ? Comment déterminer la force d’application du compas à deux pointes ?

De nombreuses questions, devaient être soldées au plus vite pour que Madame puisse
commencer son auto-rééducation et réaliser seule au plus vite ses auto-sondages.
Ainsi, mes premiers pas dans la rééducation sensitive de la douleur ont été comme la découverte
d’une langue étrangère en trois étapes : s’ouvrir à l’autre et apprendre à l’écouter différemment,
puis apprendre un nouveau vocabulaire et enfin découvrir un nouvel environnement.
Désormais, suite à cette formation, la rééducation sensitive de la douleur fait partie de mes
prises en soin. Car, comme le notait Cynthia Fleury (2019), soigner c’est « rendre capacitaire
les individus […] comprendre que la vulnérabilité est liée à l’autonomie, qu’elle la densifie,
qu’elle la rend viable, humaine ; travailler à faire que cette vulnérabilité soit pour autant la
moins irréversible possible
».

Si vous aussi vous vous posez des questions sur les mêmes thèmes ou connaissez des
hésitations, nous pouvons en parler sur ce forum. A bientôt !

Réponses

Connectez-vous ou Inscrivez-vous pour répondre.